FLASH actualités juridiques 26/03/2020 ; COVID-19 sur les chantiers en cours

Par Maître Rose-Karine GHEBALI Avocat à la Cour (relayé par expert en bâtiment.fr)


Depuis le 17 mars 2020, la France se trouve dans une situation inédite due à une crise sanitaire majeure provoquée par le COVID-19. Ainsi, les français sont appelés à rester chez eux et à œuvrer par le biais du télétravail. Le télétravail ne s’applique cependant pas à tous les domaines d’activité et précisément pas au secteur de la construction. Après l’intervention de la Ministre du travail appelant les entreprises de la construction au « civisme » et les invitant à poursuivre les travaux, des pourparlers ont été engagés avec les différents organismes représentant le secteur du bâtiment qui, pour leur part, appelaient à l’arrêt des chantiers. 

Les professionnels face à la problématique du COVID 19

Pour autant, les entreprises de bâtiment n’ont pas été citées au rang des activités devant cesser au titre de l’arrêté du 15 mars 2020. A ce jour, les consignes concernant l’arrêt ou non des chantiers ne sont pas claires alors qu’il est nécessaire de concilier les différents intérêts en présence. Les enjeux sanitaires sont évidents et doivent être considérés comme une priorité. Pour les maîtres d’ouvrage, les enjeux économiques sont majeurs eu égard aux conséquences financières liées aux retards de chantier (préjudice de jouissance, pertes d’exploitation,..).  

Pourront-ils légitimement prétendre à l’indemnisation de ces retards ?  Le respect des délais doit-il être leur seul objectif ? 

C’est dans ce contexte incertain que l’ordonnance du 25 mars 2020 n°2020-306 a été promulguée notamment pour définir les conséquences de l’état d’urgence en matière contractuelle.  

1 – Qui paiera pour les retards de chantier suite au COVID 19 ?  

Les contrats que le maître d’ouvrage conclut avec les entreprises concourant à la construction (marché de travaux mais aussi contrat de vente en l’état futur d’achèvement, contrat de promotion immobilière ou encore de contractant général), prévoient généralement un délai de réalisation des travaux avec une date de réception de l’ouvrage.  

Le respect de ce délai s’inscrit dans le cadre des obligations de résultat des entreprises.

Des clauses contractuelles peuvent aménager et/ou sanctionner, le respect de cette obligation et prévoir : 

  • L’allongement des délais  

 Ainsi, les entreprises pourront s’exonérer de leur responsabilité, en se prévalant de causes dites légitimes de retard ou de suspension de délais en cas de : grèves, intempéries, procédure collective prononcée à l’encontre  d’une entreprise ou d’un sous-traitant,… 

 Ces clauses permettent au constructeur de justifier du retard de chantier, sans avoir à en supporter les conséquences pécuniaires vis-à-vis du maître d’ouvrage et notamment les pénalités.  La difficulté réside dans le fait que, compte tenu du caractère inédit de la situation actuelle, très peu de contrats ont prévu qu’une crise sanitaire pouvait être une cause d’allongement des délais. Cette cause ne figurera donc que très rarement dans les contrats conclus, jusqu’à ce jour…

  • L’application de pénalités 

Ces clauses pénales sont généralement stipulées en faveur du maître d’ouvrage en cas de retard de chantier non justifié par l’entreprise. Ainsi, les constructeurs devront régler au maître d’ouvrage (ou se voir imputer par compensation) le montant des pénalités prévues contractuellement. Certes, le Juge dispose d’un pouvoir modérateur dans la mise en œuvre de ces clauses, mais il admet facilement qu’elles puissent atteindre jusqu’à 5 % du montant du marché (ce que prévoit notamment la norme NF P 03-001). 

Le retard dans l’exécution, voire même les arrêts de chantier, peuvent également entrainer la mise en œuvre des clauses résolutoires stipulées dans les contrats de louage d’ouvrage.  Le maître d’ouvrage pourra-t-il se prévaloir de ces clauses, dès lors que la situation actuelle ne rentre pas dans les causes légitimes d’allongement des délais prévues contractuellement ?  

La réponse a été apportée par l’article 4[1] de l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

[1] « Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er. »

Article 4 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période

Ainsi, en application de cet article, il est prévu une suspension de l’effet des clauses sanctionnant un retard ou une inexécution, en fonction de la date à laquelle ces clauses doivent être mise en œuvre :

a/ Si les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance doivent produire ou commencer à produire leurs effets entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence, soit – à ce jour, et sous réserve de la prorogation de l’état d’urgence – jusqu’au 24 juin 2020:

  • Leur effet est paralysé pendant toute cette durée ; 
  • Elles prendront effet un mois après la fin de cette période (soit, à ce jour, le 24 juillet 2020), si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là.  

b/ Les astreintes et clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020 voient leurs effets suspendus pendant la période allant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence, soit jusqu’au 24 juin 2020, sous réserve de la prorogation de l’état d’urgence au-delà de sa date fixée à ce jour.

c/ Les astreintes et clauses pénales qui commenceront à courir après le 24 juin 2020 (sous réserve de prorogation de l’état d’urgence) , ne rentrent pas dans le champ d’application de l’ordonnance. A priori, les entreprises concernées ne pourraient donc pas se prévaloir de la suspension des délais, dans cette hypothèse. Les effets des clauses pénales, des astreintes et des clauses résolutoires qui interviennent avant ou pendant l’état d’urgence peuvent donc être suspendus d’un à deux mois après celui-ci, selon les cas. 

Qu’en est-il cependant des sanctions légales applicables aux retards d’exécution ? Pour mémoire, l’application de clauses pénales n’est pas exclusive de la possibilité pour le maître d’ouvrage de solliciter des dommages-intérêts. 

L’article 1231-1 du code civil dispose que : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. » 

Code civil

Ainsi, le constructeur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil que s’il démontre que son retard est dû à un cas de force majeure.

L’article 1218 du code civil dispose que :  « ll y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

Code civil

Il ne fait pas de doute que l’apparition du COVID19 constitue un évènement qui échappe au contrôle du constructeur qui ne pouvait raisonnablement pas le prévoir. Cependant, ces deux conditions se cumulent avec celle prévoyant l’impossibilité de poursuivre l’exécution du contrat « par des mesures appropriées ». Le débat sera alors de savoir si le constructeur pouvait ou non poursuivre les travaux en mettant en œuvre des « mesures appropriées » pour respecter les consignes sanitaires ? 

L’entreprise devra veiller à la protection de ses collaborateurs

Dans les litiges qui ne manqueront pas d’apparaître après la fin de l’état d’urgence, les Tribunaux devront alors se livrer à une analyse in concreto, en fonction notamment   de l’approvisionnement en matériels sanitaires (masques, gants,…), de l’ampleur du chantier, de la co-activité entre les différents corps d’état,…  

Les dommages intérêts qui pourraient être réclamés par les maîtres d’ouvrages, cumulés à un arrêt prolongé d’activité ne manqueraient pas de compromettre la survie de nombreuses entreprises de la construction. Les risques de liquidation judiciaire des constructeurs viendraient ainsi aggravés les retards déjà subis par les maîtres d’ouvrage.  

2 – Le prix du respect des délais

Comme cela a été vu, les effets des dispositions contractuelles sanctionnant un retard de chantier sont, pour l’instant, suspendus mais les constructeurs ne sont pas à l’abri de demandes de dommages intérêts qui pourraient éventuellement prospérer. Il ne faut pas oublier que les préjudices subis par les maîtres d’ouvrage sont bien réels et qu’ils peuvent s’avérer d’une grande ampleur.  Au-delà du préjudice lié au retard de chantier, les maîtres d’ouvrage, qui peuvent être des bailleurs institutionnels, devront aussi supporter les reports de loyers qui ont été prévus par l’État.  Pour autant, l’intérêt économique doit être étudié à la lumière des responsabilités encourues au niveau social. 

A cet égard, l’article L.4531-1 du code du travail dispose que : « Afin d’assurer la sécurité et de protéger la santé des personnes qui interviennent sur un chantier de bâtiment ou de génie civil, le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et le coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé mentionné à l’article L. 4532-4 mettent en œuvre, pendant la phase de conception, d’étude et d’élaboration du projet et pendant la réalisation de l’ouvrage, les principes généraux de prévention. » 

En cas de poursuite du chantier, le maître d’ouvrage – tout comme le maître d’œuvre et le coordonnateur SPS – est responsable de la sécurité et de la protection des personnes qui interviennent sur son chantier. Il devra donc veiller au strict respect des règles d’hygiène et de sécurité qui s’imposent dans la période actuelle afin de ne pas engager sa responsabilité en cas de contamination. En conclusion, le secteur de la construction est confronté à une situation dont toutes les conséquences ne sont pas encore connues mais où les risques existent, aussi bien pour les maîtres d’ouvrage que pour les constructeurs.  

Tout mettre sur la table en analyse, pour une reprise sereine.

Afin d’assurer une reprise sereine de l’activité, dans le monde de « l’après COVID-19 », il semble essentiel d’anticiper ces questions et de trouver, concomitamment à la négociation des conséquences financières, des solutions contractualisées, dans le cadre d’avenants, afin d’assurer une sécurité juridique qui sera indispensable pour tous. 

Rose-Karine GHEBALI

Avocat à la Cour

21, rue Royale – 75008 PARIS Tél. +33 (0)9 60 41 81

karineghebali_@hotmail.com